"Les premières années du 21e Siècle sont à la hauteur des incroyables performances antérieures du monde moderne. Un des grands mérites de l'ouvrage du professeur ASSENS est précisément de
présenter un catalogue actualisé des pratiques du moment. L'importance de ces réseaux n'a cessé de s'affirmer en fonction des progrès spectaculaires de la "numérisation" qui a bouleversé les
moyens, les anciennes méthodes, et les habitudes des acteurs traditionnels des rapports humains et professionnels dans les societés contemporaines.
Néanmoins, en dépit de leur importance accrue, les réseaux sociaux ont leurs limites vis à vis des diverses institutions légitimes. Ils ne proposent pas forcément la transparence des
procédures et des informations, dans un monde plus libéré ou plus altruiste. Ils constituent plus un mode de communication qu'un moyen d'information au service de l'éducation, de la formation et
de la culture.
Cet ouvrage répond donc au souci de prendre du recul au regard du "vivre ensemble". Car, plus précisement, il implique une autre question fondamentale : les réseaux sociaux
peuvent-ils aider à répondre à la crise de légitimité que traversent nos propres cadres institutionnels ? Ainsi qu'au besoin de reconnaissance des générations montantes face à
l'égoïsme des conservateurs, de leurs avantages acquis, de leur refus de renoncer à des privileges imérités. Les réseaux sociaux préfigureraient-ils la réunion de nouveaux "Etats Généraux" pour
conduire à une nouvelle "nuit du 4 Août" ?
Extrait de la préface par l'Amiral PIERRE LACOSTE
in memoriam
https://www.defnat.com/pdf/articles/202003/3.%20dufourcq.pdf
"Dans la continuité de son livre, écrit en 2013, Le Management des réseaux. Tisser du lien social pour le bien-être économique, Christophe Assens « récidive » sur la même thématique, par un
ouvrage au titre plus provocateur et avec une ambition plus critique et sociologisante, questionnant plus globalement un fait de société autant que des phénomènes économiques. Est-ce que ce livre
tient ses promesses ? La forme utilisée est celle de l’essai. De tels écrits, essayistes, flirtant avec un style littéraire et plus accessible, révèlent toute l’étendue de la pensée d’un auteur
et de son interprétation des mouvements de changement culturel et sociétal contemporain.
Le livre de 208 pages est découpé en trois grande chapitres : 1/ Les réseaux numériques ; 2/ Les réseaux corporatistes ; 3/ Les réseaux économiques. Une préface de l’Amiral Lacoste, l’ancien chef
de la DGSE de François Mitterrand, de 1982 à 1985, apporte des commentaires géostratégiques et futurologiques à l’entreprise éditoriale de l’auteur.
L’introduction de 15 pages (pp. 13 à 27) tente de resituer le lexique et les notions utilisées (différence entre « réseau » et « institution » ; types de réseaux ; approche socio-historique des
première formes réticulaires et sociétales ; lien avec la notion de citoyenneté et de mondialisation). L’auteur insiste sur un thème récurrent dans tout le livre : tout individu contemporain, qui
dispose d’un réseau plus étendu que par le passé, possède, par ce biais, une véritable richesse en termes de capitaux relationnels, essentiels à son évolution professionnelle et personnelle.
Cependant, Assens met très clairement en garde contre les risques de dérives vers de nouvelles formes de communautarisme, dans la multiplication de réseaux sociaux cultivant l’entre-soi. « Nous
cherchons notamment à savoir si les réseaux offrent une dimension plus humaniste face à la complexité du monde ou s’ils tendent à reproduire une nouvelle forme d’égocentrisme sur le plan
collectif, dans des microsociétés qui rivalisent entre elles » (p. 25.) Notons une définition très générale de la notion de réseau repérable, selon lui, dans presque toutes les activités en
société : dans les « ramifications numériques [...], la convivialité d’un club, d’une cercle intime, d’une corporation » (p. 13), ou bien « dans cercles de discussion, des think-thank, des
réseaux sociaux sur internet, dans le régionalisme, dans les diasporas, dans les communautés de pensée, dans des clubs philanthropiques, dans les associations, dans les mutuelles, dans les
coopératives, dans les clusters, dans les communautés d’agglomération, dans toutes les formes d’union qui échappent au cadre habituel de la pensée formelle et verticale » (p. 13 et 14).
Le chapitre 1, « Les réseaux numériques », aborde le paradoxe de la désocialisation et de la déterritorialisation des sociétés contemporaines par l’implosion dans les réseaux numériques (internet
utilisant plusieurs supports et écrans, comme on le sait, de nos jours). Cet aspect avait déjà été abordé, il y a longtemps par Paul Virilio, dans le livre Le Cybermonde ou la politique du pire,
édité à Paris, chez Textuel, en 2001. Assens cite adroitement des travaux (dont ceux de Stanley Milgram) sur les réseaux pour indiquer la forte connexité entre individus : une moyenne technique
et statistique de 4,74 personnes intermédiaires, existerait entre deux individus, tirés au sort, dans une recherche de 2011, au sein du réseau Facebook. Ainsi nous vivrions, du fait de la
généralisation des réseaux techno-numériques, dans un « petit monde » (p. 30-31), ayant néanmoins une faible valence sociale et émotionnelle. On se retrouve dans des dispositifs faiblement ancrés
dans des dynamiques consistantes, contrairement à des clubs fermés mais efficients, comme le Rotary Club. Cependant, les liens faibles (épisodiques et non communautaires) génèreraient des
interactions en réseau les plus riches en information diversifiée. Par la suite, l’auteur se livre à une analyse détaillée des contresens et significations socio-économiques, associés aux réseaux
comme Facebook ou LinkedIn, fondés sur l’augmentation constante des contacts, sans discrimination ni affinités préalables. « La “plateforme numérique de communication” n’est [...] pas capable de
fédérer autour du lien social, la mosaïque des tribus, des clans et des catégories de personnes qui gravitent par centaine de millions sur Internet » (p.39.) Ces plateformes sont globalement
perçues comme un « encouragement à l’individualisme » (ibid.). Une petite erreur page 43 est cependant à noter où l’auteur énonce que les sources de Wikipédia ne sont pas toujours fiables. Tout
au contraire, de récentes recherches (2017) de bibliométrie indiquent une plus forte fiabilité de Wikipédia par rapport à la très autorisée Encyclopedia Britannica. Par contre, la dépendance des
jeunes générations aux médias sociaux d’internet et par téléphone mobile est correctement analysée, en confirmant des travaux divers sur la généralisation du crédit accordé au complotisme chez
les 15-25 ans depuis quelques années. Assens, en bon observateur, décrit très bien les effets nocifs de la multiconnexion à des sources multiples de savoirs chez les internautes : « Ce n’est plus
l’élève qui fait la démarche de remonter à la source du savoir, comme le saumon dans le lit de la rivière. C’est le savoir qui doit capter l’attention de l’élève, déjà sollicité par des centaines
de micro-activités de divertissement et de communication » (p. 45.) Tous ces éléments et quelques autres tracent donc les grandes lignes d’une tendance à la recentration narcissique et à
l’isolement au sein de réseaux déshumanisants, mécanisés et matriciellement programmateurs de conduites stéréotypées.
Le chapitre 2, « Les réseaux corporatistes » porte sur la question des relations entre les biens, ou objet plus ou moins rares, et les sociétés. L’auteur distingue quatre types de biens (pp.
58-61) : les biens privés (régulés par le marché), les biens communs (contrôlés sur des réseaux n’excluant aucun humain), les biens de club (gérés de façon discrétionnaire dans des réseaux
fermés) et les biens publics (managés par des pouvoirs administratifs locaux ou nationaux). « La solidarité dans un réseau s’exerce exclusivement au bénéfice de ses membres, sans éliminer
totalement les rivalités individuelles et les conflits avec les autres réseaux. De ce point de vue, sur le plan économique, le réseau complète le marché lorsqu’il s’agit de développer des biens
dans les titres de propriété sont collectifs, et qui prennent de la valeur dans la coopération plus que dans la compétition » (p. 60), insiste l’auteur. Traduction : il est préférable de
favoriser l’articulation des modes de gestion et de régulation (réseau, État, marché, club) aux différents types de biens circulant les sociétés. Dans la suite de ce chapitre, sont alors examinés
les pratiques corporatistes sous la bannière des réseaux, comme, par exemple, les significations morales et politiques des conduites de démocratie électronique ou l’intrication entre capitalisme
et développement des débats sur des forums gratuits sur internet.
L’auteur interroge notamment le paradoxe de l’ « instantanéisme » en démocratie, associés aux débats sur les réseaux, d’une part, et à la distance critique et raisonnée des élus réunis de façon
réflexive dans des assemblées représentatives institutionnalisées, de l’autre. Il y aurait bien alors une différence radicale de fonction entre institution et réseau bien que des liens existent
entre ces deux formes. Assens fait donc une remarque de type sociologique. Pour exemplifier son raisonnement, l’auteur aborde aussi longuement le développement en réseau de l’Université
Paris-Saclay dont il critique les dérives et les corporatismes sous-jacents. Cependant, il est admis que les logiques de réseaux permettent aussi de contrebalancer les dérives bureaucratiques en
devenant une sorte de contre-culture face aux niveaux de décision et aux hiérarchies, en fluidifiant l’accomplissement de tâches administratives publiques. L’auteur est parfois ambigu car il
accorde un avantage qualitatif (p. 96) aux réseaux de gestion des services de santé hospitalier (coordination interservices, notamment). Or tout le monde sait que la coordination au sein d’un
réseau demande du temps et donc de l’argent. Par conséquent, la « solution de mutualisation par les réseaux » finit par ressortir du domaine quantitatif et financier, selon nous. Donc rien ne
sert de dire qu’il faut plus de coordination en réseau pour mutualiser si l’on ne met pas les ressources pour favoriser les dispositifs techniques et humains qui y sont associés et les
soutiennent. Ainsi, on retombe toujours sur des critères budgétaires et donc quantitatif, même quand on pense à la « solution » réticulaire. Par ailleurs, la « solution réticulaire » fait appel à
une sorte de motivation altruiste et bienfaisante (take care of) qui est loin d’être spontanée dans le cadre des interactions à distance. Bien au contraire. Enfin, la théorie de
l’implication du management de réseau présuppose une relative et faible prégnance du pouvoir ou un aplatissement de la pyramide hiérarchique. Il demeure assez illusoire de penser que ces modes de
fonctionnement puissent avoir une pérennité. Les critiques de Richard Sennett le montrent, dans son livre de 1999, Le Travail sans qualité : les conséquences humaines de la flexibilité : le
contrôle la structure de réseau et des relais permet d’avoir prise sur un dispositif interactif (concentration du pouvoir dans un cadre d’apparente décentralisation). L’ « acteur-réseau » n’est
fonctionnel que dans des dynamiques de projet. Il ne présuppose pas de management mais uniquement l’activation altruiste des conditions de travail collectif (si possible sans « passager
clandestin ». Pas plus, pas moins ! Or, Sennett souligne que dans tout travail en groupe, les passagers clandestins pullulent.
Le chapitre 3, « Les réseaux économiques », termine ce triptyque de façon heureuse dans un domaine (science de gestion) que l’auteur maîtrise encore mieux. Le réseau, comme notion, ressort du
modèle des alliances stratégiques d’entreprise, reflétant les nécessités de coopérer et de mutualiser certaines ressources dans un cadre concurrentiel avec, pour but, un résultat gagnant-gagnant
pour chaque partie en relation : ce qui est appelé « coopétition » par l’auteur. Divers exemples sont analysés comme les networks de petites entreprise, les réseaux de consommateurs, les
tontines, les sociétés secrètes, comme dans la franc-maçonnerie ou les mafias, voire les diasporas ; sont aussi cités et décrits le succès du consortium Airbus, du point de vue du management des
réseaux technico-économiques, l’économie sociale et solidaire, les coopératives agricoles et les réseaux mutualistes (comme la MACIF). L’une des parties les plus stimulantes intellectuellement
est consacrée à la démocratie d’entreprise et plus particulièrement à l’ « entreprise libérée » (p. 147-155), laissant presque supposer que l’auteur appartient aux mouvements de renouveau
néocommuniste et autogestionnaires des années 2000. Ce qui est, on le sait, est loin d’être son orientation intellectuelle. L’étude de cas, venant en appui à cette thèse de l’entreprise libérée,
est celle la société Hervé Thermique, créée dans les années 1970 et développant concrètement cet usage libertaire et régulée de la démocratie, combinée aux relais en réseau et à des centres de
profits autogérés. Le chapitre se conclut sur la thématique bien documenté de l’économie collaborative et de partage dont Blablacar, Airbnb ou Amazon sont de bons exemples.
Le titre, Réseaux sociaux. Tous ego ?, réactive une critique connue, en philosophie contemporaine (Bernard Stiegler, Dany- Robert Dufour, notamment, mais aussi Christopher Lasch et d’autres), de
l’ « égotisation » des relations interpersonnelles et sociales. En fait, de nos jours et depuis la généralisation de l’éthique ultralibérale associée aux réseaux sociaux, vous ne communiquez pas
vraiment. Vous sombrez dans un simulacre en ayant l’impression qu’on va vous répondre en reconnaissant votre authenticité. Quand on sait à quel point la valeur d’authenticité est typiquement
associée au libéralisme, on comprend que les réseaux ne sont qu’un prolongement différent des structures du marché. Au final, dans l’idéologie égotiste contemporaine, vous développez plutôt un
syndrome de narcissisme avancé. Votre décrépitude égotiste vous incite à ne penser à l’autre que par le canal d’un « altruisme égoïste » qu’avait très bien défini il y a quelques années, feu
Serge Moscovoci dans un livre consacré à la psychologie des relations à autrui : Moscovici Serge (éd.), Psychologie des relations à autrui, Paris, Nathan, 2000. Au final, les « gens » ne
communiqueraient plus mais s’exprimeraient, de façon conformiste, en émergeant dans des « tribus égo-grégaires » (Dufour), en tentant de rester des « êtres non-inhumains » (Stiegler), tiraillés
entre des pulsions d’ « individuation » (ressembler à la norme de groupe en y étant le plus conforme et exemplaire) et des tendances plus raisonnées à l’ « individualisation » (construction de
soi par un cheminement critique rationnel, éloigné des modes et des prêt-à-penser). Cette tendance conformiste (égocentrée) avait été étudiée il y a longtemps par Jean-Paul Codol, en psychologie
sociale mais aussi en psychologie de l’enfant (Jean Piaget). Il l’avait nommé « effet PIP (Primus Inter Pares) » ou « conformité supérieure de soi ».
Cette critique de la raison égotiste est, de nos jours, réalisée au nom d’une posture néokantienne, en privilégiant l’Erklärung, très fortement défendue par le maitre de Königsberg et ses
héritiers contemporains (dont les philosophes précédemment cités), modalité rationaliste opposée à la pensé adhésive des « communautés ». Assens adopte une posture intermédiaire, dans son
ouvrage, en constatant à la fois les apports des logiques et conduites en réseaux contemporaines, tout en déplorant aussi, comme les critiques néokantiens, l’émergence de tropismes
communautaristes dans divers secteurs tant politiques, culturels, relationnels qu’économiques. Rappelons, pour finir, que l’auteur, professeur de management des réseaux à l’Université de
Versailles-Saint-Quentin-en- Yvelines, est un expert de ce domaine et il le démontre excellemment par cette contribution, malgré quelques coquilles et inexactitudes (volonté de ne pas référencer
toutes les sources des recherches citées) ici et là.
En guise de conclusion, il faut souligner à quel point l’étude des réseaux est en vogue de nos jours sur le plan des sciences humaines. Certains historiens, comme Marie-Françoise Baslez,
Professeur d’histoire des religions à l’Université Paris-Sorbonne, indiquent d’ailleurs qu’ils ont joué un rôle essentiel dans l’évolution des espaces géostratégiques et des croyances depuis plus
de deux-mille ans. Baslez évoque, dans Comment notre monde est devenu chrétien, publié à Paris, chez CLD en 2008, que « Paul fut en effet lui-même un homme de réseaux [...]. Ce sont, plus
particulièrement les réseaux du patronage officiel romain qui l’ont intégré véritablement dans l’Empire, qui l’ont poussé à aller toujours plus en avant jusqu’à Rome, le centre du monde, en lui
donnant l’intuition d’un ordre mondial introduit par l’Empire et celle d’une communauté religieuse destinée à s’étendre aux dimensions de la terre habitée (p. 50-52). Nul doute qu’avec les
révolutions technologiques à venir d’autres profonds changements, qu’on peut espérer toniques et fertiles, puissent être envisager mondialement comme localement dans les diverses sociétés
contemporaines."
https://hal.univ-lorraine.fr/hal-02968240/document
1L’ouvrage de
Christophe Assens propose une réflexion sur un sujet actuel très complexe et multiparamétrique : les réseaux sociaux et leur présence auprès des institutions de l’État, du marché,
de l’école. Précédé d’une préface de l’amiral Pierre Lacoste, le livre est divisé en trois grands chapitres : « Les réseaux numériques »,
« Les réseaux corporatistes » et « Les réseaux économiques ».
2Dans
l’introduction, l’auteur fait une brève histoire de l’apparition du réseau social et le définit comme « un moyen de réunir les personnes qui partagent la même vision du monde »
(p. 20). La dépendance accrue aux réseaux sociaux est motivée par l’évolution géopolitique et technologique des dernières années. Afin de mieux comprendre le mode de fonctionnement des
réseaux sociaux, l’auteur propose des exemples tirés de tous les domaines. Il annonce une « transformation profonde » (p. 14) de la société contemporaine où les réseaux
sociaux, qui font partie de notre vie quotidienne, tendent à remplacer partiellement les institutions traditionnelles dans divers domaines de la vie : politique, social et économique. La
question qui se pose, et qui va guider l’argumentation dans son ensemble, est de savoir si les réseaux permettent réellement de retrouver « la dimension bienveillante du vivre ensemble
garantie par les institutions, ou si le maillage librement consenti des individus encourage l’égocentrisme collectif » (p. 15). Loin de représenter une boutade, ce point de départ
permet à l’auteur de convoquer des champs d’expertise différents, des exemples complémentaires, afin de fournir son point de vue (nécessairement nuancé) sur cette problématique.
3Le
chapitre 1, divisé en cinq parties, est consacré aux réseaux numériques. L’auteur expose les avantages et les limites des médias sociaux (Facebook, LinkedIn, Twitter, Viadeo) au moyen de
différentes comparaisons entre ceux-ci. La plateforme de mise en relation Facebook est un « phénomène de mode planétaire, pour lequel communiquer c’est exister » (p. 35) par
rapport à la plateforme professionnelle LinkedIn qui est une « vitrine de communication […] pour mettre en évidence le CV en ligne » et qui « ressemble plus à une plateforme
technique de communication qu’à un réseau au sens social du terme » (p. 37-38). Utilisées pour la communication à distance, ces plateformes communautaires ne cachent pas moins des
paradoxes. Même si les réseaux sociaux semblent transformer le monde actuel dans un monde du partage et de la communication, la société contemporaine est caractérisée par l’individualisme,
par les pratiques narcissiques (selfies ou snapchats), par une tendance à
l’égocentrisme, par le « besoin accru de reconnaissance sociale » (p. 51), mais également par l’angoisse de la solitude et de la perte ou de la
descente sociale, car les réseaux sociaux qui réduisent la distance dans la communication « créent de nouvelles distances sociales »
(ibid.).
4Dans le
chapitre 2, l’auteur aborde la nécessité de travailler en réseau, les réseaux sociaux en politique, le poids du réseau des écoles, le rôle du réseau public dans l’intérêt général ainsi
que différentes notions telles que le bien public, la démocratie électronique, la bureaucratie, le népotisme, le corporatisme et la mondialisation ou le fédéralisme.
Assens souligne la force des réseaux sociaux en politique lorsqu’il s’agit par exemple de campagnes d’élections présidentielles dans lesquelles les plateformes communautaires comme Facebook
ou Twitter jouent un rôle important, car celles-ci déclenchent une réaction en chaîne dans l’opinion publique et « représentent un baromètre en temps réel de l’opinion
publique » (p. 67). L’auteur considère que la démocratie directe sur Internet détermine, en politique, une « défiance envers les institutions républicaines » et une
réorientation des citoyens vers les réseaux sociaux qui « semblent en apparence moins corrompus et plus ouverts au débat démocratique en raison de la transparence et de la
collégialité » (p. 71). Cela dit, aussi bien en politique que dans le domaine de l’éducation, les réseaux sociaux favorisent la disparition progressive des voix intermédiaires
garantes de la déontologie, de l’expertise ou du savoir, au profit de voix qui masquent leur ignorance dans l’anonymat des pseudonymes. Ce qui mène non plus à un ajout de transparence, mais à
la diffusion de points de vue non représentatifs, avec le risque d’imposer « la vision improductive des mal informés dans l’inconscient collectif » (p. 70).
5Le
chapitre 3 s’intéresse au rôle des réseaux (formels ou informels) dans le secteur économique et propose des exemples concrets et contrastés. Après avoir exposé les avantages de
l’organisation en réseau, Assens note la nécessité pour le secteur public de collaborer avec le secteur privé en vue de répondre aux intérêts généraux. De la même façon, il souligne la
nécessité pour une entreprise de travailler en réseau pour survivre. Grâce à la mise en réseau, il est possible de mettre en contact direct le consommateur et le producteur, en éliminant tous
les intermédiaires non nécessaires, ce qui augmente le pouvoir de négociation et détermine une baisse des prix.
6Selon
l’auteur, les conditions nécessaires pour former un réseau sont le partage (de ressources et de compétences) entre les individus et la confiance qui doit être instaurée à l’intérieur d’une
entreprise. L’auteur considère que « l’économie tend à se développer sur le partage plutôt que sur la propriété exclusive » (p. 163). Le terme employé par Assens pour désigner
l’économie fondée sur la collaboration entre les producteurs et les consommateurs de services est « économie collaborative » (exemples : le covoiturage, la colocation,
l’échange de maisons). Devant la multiplication des réseaux sociaux, l’auteur avance, de manière encore une fois paradoxale, l’hypothèse d’une société de consommation devenue moins
« matérialiste » et plus tournée vers l’accumulation de services qui permet à tout un chacun d’afficher non plus un patrimoine matériel, mais un patrimoine relationnel. Ce qui ne
change en rien la volonté de satisfaire l’estime de soi et d’aller vers un monde plus « egolitaire » qu’égalitaire…
7Dans la
conclusion, l’auteur fait le point sur les avantages et les limites des réseaux : du point de vue social, les réseaux « rapprochent les individus pour renforcer la dimension
collaborative », tandis que du point de vue technologique, les réseaux « transforment les rapports humains, en maintenant les individus à l’écart les uns des autres avec le risque
de recréer de nouvelles barrières sociales » (p. 195). Cela dit, il qualifie les réseaux sociaux d’« incontournables ».
8Rédigé de
manière volontairement provocatrice, parsemé de nombreuses phrases exclamatives qui traduisent les partis pris et les différents paradoxes avancés par l’auteur, le livre présente une
réflexion nécessaire sur le monde contemporain dans lequel la clé de la fraternité, que détiendraient les réseaux sociaux, est plutôt un « leurre technologique » qu’une
transformation profonde des manières de penser.