Tant face à l'épidémie que face aux désinformations qu'elle génère, les politiques liberticides sont peu efficaces, estime Christophe Assens, professeur à
l'université de Paris Saclay. Il faut miser sur la responsabilité individuelle.
Régulièrement, les réseaux sociaux sont assaillis de fausses nouvelles. L'épidémie mondiale du Coronavirus n'échappe pas à la règle. Les
théories de désinformation propagées par des attaques informatiques provenant de Russie font croire que le virus a été créé par les Etats-Unis dans le cadre de la guerre économique
avec la Chine, que c'est une arme biologique inventée par la CIA ou qu'elle fait partie d'une stratégie occidentale de messages anti-Chine. Dans le même temps, la Chine fait tout pour
effacer l'origine du virus dont le foyer d'infection se situe dans la province de Hubei, par une campagne de communication en mobilisant les antennes diplomatiques.
Les réseaux sociaux servent de terrain de jeu dans des duels géopolitiques entre les grandes puissances. Parfois la désinformation porte sur des
aspects plus légers, faisant croire que le Coronavirus est transmis par la nourriture chinoise, ou par les moustiques, qu'il peut être éradiqué par la vitamine C ou par l'alcool, qu'il
provient de la soupe de chauve-souris ! La propagation de fausse nouvelle est d'autant plus facile qu'elle se déroule au sein d'une foule protégée par l'anonymat des réseaux sociaux. Pour
empêcher la désinformation, il est tentant d'envisager de durcir la répression judiciaire. Mais elles n'est pas dissuasive, car le temps médiatique est plus rapide que la justice. Est-il
alors nécessaire d'encadrer par la loi les pratiques que la morale réprouve ?
L'encadrement juridique est régulièrement évoqué pour lutter contre les dérives des réseaux sociaux, en mettant fin à l'anonymat sur Internet ou
en renforçant l'obligation des plates-formes de censurer les propos jugés haineux, voire en sanctionnant juridiquement la dissémination de fausses nouvelles. Néanmoins, il semble utopique
de vouloir restreindre les libertés sur les réseaux sociaux, par la contrainte judiciaire, car la propagation d'une fausse nouvelle est mondiale. Elle se déroule en dehors des limites de
souveraineté nationale, parfois orchestrée par des grandes puissances se livrant à de l'ingérence politique.
Dans cette mesure, réguler les réseaux sociaux par la loi est aussi utopique que de vouloir maîtriser le réchauffement climatique par la taxe carbone dans un seul pays, ou d'empêcher la
dissémination de la grippe en fermant les frontières d'un État. La propagation de fausses nouvelles sur Internet correspond, de ce point de vue, au
même mécanisme de propagation virale du Coronavirus. Ainsi, en dépit de la censure renforcée de l'information sur les réseaux sociaux et de la mise en quarantaine de millions de
personnes, la Chine ne parvient pas à endiguer la propagation du virus, à tel point que la maladie finit par se propager sur tous les continents comme une trainée de poudre, en Europe, en
Afrique, aux Etats-Unis, au Moyen Orient, en Australie... Par effet boule de neige, d'autres pays sont contaminés à la suite de la Chine, et entreprennent de freiner ou d'atténuer la
propagation de l'épidémie virale, par des mesures de privation de liberté : le contrôle drastique aux frontières, la fermeture d'écoles, l'interdiction de rassemblements culturels ou
sportifs, le confinement des malades dans des hôpitaux, etc. Néanmoins, le virus de la maladie circule aussi vite et aussi librement que circule l'information sur Internet, par des
ramifications sans frontières.
Que faut-il retenir de cet évènement? Les politiques liberticides sont peu efficaces pour contrôler des réactions en chaîne mondiale dans les
réseaux interpersonnels, si ce n'est de créer un sentiment de psychose parmi la population, avec le risque de ralentir fortement l'économie mondiale.
Face à ce constat, que faut-il faire ? D'après la théorie sur "la variété requise" de Ross Ashby il n'est pas possible de réguler un système de l'extérieur par un organe de contrôle dont
le niveau de complexité serait inférieur au système en question. Autrement-dit, il n'est pas possible de réguler politiquement la propagation mondiale du Coronavirus, à moins de disposer
d'un État ou d'un groupe d'Etats possédant un niveau de contrôle aussi complexe et aussi ramifié que celui d'une chaîne de contamination mondiale. Comme il n'y a pas de concertation entre les Etats sur ce sujet, y compris en Europe, la chaîne de contamination sur le Coronavirus, ou la propagation de fausse
nouvelle dans un réseau social doit se réguler de l'intérieur, par des mécanismes d'autocontrôle. Chacun doit assumer ses responsabilités pour pratiquer l'autocensure en cas de
crise. Cela correspond notamment à adopter des "mesures barrières" sur le plan sanitaire : éviter les regroupements, isolement et port du masque pour les personnes malades, mesures
d'hygiène pour les autres en évitant le contact par poignée de main et l'exposition aux postillons, aux éternuements et à la toux.
Pour éviter la désinformation dans un réseau social, les "mesures barrières" sont identiques. Elles consistent à éviter la propagation de proche
en proche de fausses informations, par des mesures d'hygiène informatique : vacciner l'ordinateur contre les virus informatiques ; recouper et vérifier les sources avant de disséminer une
information, bloquer la transmission d'une information suspecte pour éviter de manipuler l'opinion de ses proches et de créer ainsi un effet d'entraînement collectif irréversible. Mais
ces "mesures barrières" sont d'autant plus efficaces qu'elles font parties des conventions sociales dans le réseau, c'est-à-dire de règles tacites fondées sur les usages. Adopter une
"mesure barrière" est donc une action pour se protéger, mais également pour protéger les autres.
Dans ces conditions, la solidarité ne relève pas d'une injonction de l'Etat, mais d'un réflexe de survie dans un réseau où chaque individu
dépend de façon réciproque du bien-être des autres pour communiquer, partager, échanger collaborer. Autrement-dit la propagation virale d'une fausse nouvelle ou d'une épidémie sur le plan
sanitaire peut être stoppée aussi rapidement qu'elle survient, par la propagation virale de bonnes pratiques sur les "mesures barrières", par conformisme et solidarité avec les
autres.
Dans ces conditions, cela ne sert à rien de durcir la réglementation pour vouloir réguler des chaînes de contamination ou pour empêcher la
diffusion anarchiquede fausse nouvelle sur un réseau social. En effet, il est facile de contourner les règles en se plaçant en dehors de la juridiction notamment lorsque le
phénomène est mondial, ou d'appliquer strictement les règles pour se donner bonne conscience, en tuant les bénéfices du partage collectif et en empêchant alors les bonnes pratiques de se
propager. Le meilleur rempart contre la propagation d'un virus dans un réseau repose sur la responsabilité individuelle, en respectant des
conventions utiles pour la diffusion de bonnes pratiques et le partage d'informations vérifiées. Sur les réseaux sociaux professionnels on parvient à maintenir cet équilibre entre
l'estime de soi et le respect des autres, il doit être possible d'atteindre le même niveau de maturité dans les réseaux sociaux concernant la vie privée, et pour endiguer une épidémie
virale.
Christophe Assens est professeur à l'université de Paris Saclay. Il a publié "Réseaux sociaux, tous ego? Libre ou otage du regard des autres" (De Boeck, 2016).
L'émission consacrée à l'actualité locale 22 janvier 2020 et présentée par Nouraddine AGNE.
29:58 : L'invité du jour :
Christophe ASSENS, professeur à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines et auteur du livre Réseaux sociaux, tous ego : libre ou otage du regard des autres (De Boeck, 2016), vient discuter de notre rapport avec les réseaux sociaux.
Grâce à ce livre blanc, vous pourrez identifier les grands enjeux du management en réseau ; des enjeux liés à la motivation et à la performance des équipes, à la mise en place d’une communication performante mais aussi des enjeux liés à la culture d’entreprise. Une problématique à part entière dont il est crucial de dessiner les contours afin d’apporter les réponses adéquates à travers l’instauration de bonnes pratiques, qui sont autant de clés de la réussite : tendre vers un management plus transversal et collaboratif, opter pour une relation davantage personnalisée et organiser des réunions et des événements d’entreprise notamment.
FIGAROVOX/ENTRETIEN - Pour Christophe Assens, les réseaux sociaux numériques sont au cœur d'un étrange paradoxe : s'ils permettent l'éruption d'une colère sociale, ils sont en revanche
incapables de pallier la dissolution des liens sociaux dont les «gilets jaunes» sont aussi l'expression.
FIGAROVOX.- Selon vous, l'histoire des réseaux sociaux remonte à bien plus loin que la création de Facebook. Pouvez-vous nous en dire plus?
Christophe ASSENS.- L'humanité n'a pas attendu l'arrivée d'Internet pour former des communautés, groupes, clans, tribus… et réseaux sociaux. Suivant l'adage «qui se ressemble
s'assemble», il y a toujours eu un besoin de construire des relations de proximité, sans attendre l'arrivée des outils numériques. En l'occurrence, le point de départ pour construire un
réseau social, ce n'est pas un ordinateur ou un smartphone, c'est la confiance! Ce sentiment de confiance est en effet essentiel pour réduire l'incertitude dans la vie, en faisant preuve
d'entraide avec autrui, sans perdre le libre arbitre avec des règles prudentielles. À l'ère du troc, lorsqu'il n'y avait pas de système monétaire pour déterminer la valeur marchande d'un
objet, les marchands apprenaient à se connaître dans la négociation, et finissaient par évaluer la valeur de l'objet sur la base de la confiance. Dans ce réseau de marchands, la valeur du
lien avait plus d'importance que la valeur du bien!
Le point de départ d'un réseau social, c'est la confiance !
Vous citez la théorie du lien fort et du lien faible, de Granovetter. Les réseaux sociaux sont-ils de plus en plus l'empire du «lien faible»?
Il y a deux types de relations sociales: les liens forts qui traduisent une connivence étroite entre amis proches ou dans la famille avec le lien du sang par exemple, et les liens faibles qui
traduisent une relation plus distante avec des anonymes en dehors du premier cercle de confiance. Sur Internet, compte tenu du modèle d'affaires des réseaux sociaux fondé sur la course à
l'audience publicitaire, la plupart des membres cultivent des liens faibles avec un grand nombre de contacts qui se situent en dehors de la sphère affective. En conséquence, les plateformes
d'intermédiations comme Facebook sont incapables de relier de façon solidaire une foule d'anonymes. La plupart du temps, la cooptation sur ces plateformes s'effectue par des mécanismes
d'intermédiation technique, sans connaissance réelle d'autrui, sans engagement sur la loyauté, sans condition requise sur les valeurs à partager. Autrement dit, les outils de communication
digitale ne sont pas suffisants, pour générer de la confiance, et donner naissance à un maillage cohérent avec des liens forts et durables, comme dans une famille ou dans un club!
«Les distances physiques se réduisent, mais pas nécessairement les distances sociales». Les réseaux sociaux créeraient-ils un semblant de proximité sociale, qui ne serait qu'illusoire?
En 1967, le psychologue Stanley Milgram réalise une expérience au cours de laquelle il connecte à travers le monde deux personnes choisies au hasard, par une chaîne humaine comprise entre 2
et 10 intermédiaires. Découle de cette expérience, la théorie du «petit monde», selon laquelle les moyens de communication modernes réduisent les distances géographiques. De nos jours, la
révolution digitale réduit encore plus le nombre d'intermédiaires pour relier des anonymes, et accentue cette représentation d'un «village mondial», au sein duquel les distances physiques
sont abolies par la technologie.
Les réseaux sociaux ont tendance à segmenter la population.
Pour autant, la démocratisation des moyens de communication n'est pas suffisante pour s'affranchir des différences sociales ou culturelles! En effet, la plupart des membres des réseaux
sociaux se regroupent par affinité élective, partageant la même vision du monde, les mêmes sujets de préoccupation ou centres d'intérêt. Comme l'histoire du «printemps arabe», ou du «Brexit»
l'ont montré, il est illusoire de vouloir (re)bâtir une société uniquement à partir des revendications sur les réseaux sociaux. En effet, les réseaux sociaux ont tendance à segmenter la
population et à creuser les clivages entre les communautés de pensée. C'est un phénomène qui s'auto-entretient.
En réalité, les réseaux sociaux seraient donc un moyen de déguiser une diminution des liens dans une société de plus en plus individualiste?
C'est le paradoxe des réseaux sociaux! Ils sont censés permettre à chacun d'entre nous de sortir de l'isolement en nouant des conversations à distance, avec le risque que ces discussions par
écran interposé servent surtout de prétexte à une mise en scène narcissique! On touche à la vraie fracture sociale, entre ceux dont l'estime de soi repose uniquement sur la valorisation de
l'ego au sein des réseaux sociaux, et ceux qui n'ont pas besoin de se mettre en scène derrière un écran pour exister dans la société.
Les «gilets jaunes» sont-ils l'un des produits de cette crise du lien social?
Plus la société est formatée avec une surréglementation absurde, plus les citoyens vont chercher de nouveaux espaces de «liberté» dans les réseaux sociaux. On se trouve alors dans une
impasse, car l'insatisfaction dans la société nourrit la contestation sur les réseaux sociaux, sans pour autant que ces réseaux sociaux ne soient en mesure d'incarner un autre modèle de vivre
ensemble, plus tolérant et respectueux des différences. Il s'agit d'une des limites du mouvement des «gilets jaunes», tellement fragmenté qu'il n'est pas possible de faire émerger un
consensus sur la société idéale. Pour sortir de cette crise, les institutions doivent recréer des espaces de liberté en supprimant et en simplifiant les règles bureaucratiques, c'est-à-dire
en laissant chacun plus libre d'exercer ses responsabilités. Avec la liberté d'agir et de penser, les citoyens seront davantage enclins à tisser des liens fraternels au quotidien, plutôt que
de se réfugier derrière un écran pour trouver du réconfort face à leurs problèmes.
Comment, dès lors, expliquer leur recours systématique aux réseaux sociaux comme moyen de communication et d'organisation?
L'insatisfaction dans la société nourrit la contestation sur les réseaux sociaux.
Le mouvement des «gilets jaunes» exprime de multiples revendications, parfois contradictoires, parmi lesquelles la volonté pour tout citoyen d'être davantage considéré dans le débat
démocratique, sans attendre les périodes de consultations électorales. De manière sous-jacente, il s'agit d'appliquer le rythme de concertation directe et instantanée des réseaux sociaux à la
politique! Avec le mouvement des «gilets jaunes», les réseaux sociaux défient les institutions! Néanmoins dans ce défi des temps modernes, il faut distinguer le fond et la forme. Sur la
forme, la société, dont les institutions symbolisent la verticalité, évolue inexorablement vers des modes de concertation et de collaboration plus horizontaux. Sur le fond, il est difficile
de dégager des consensus à grande échelle dans les réseaux sociaux, et dans cette mesure, l'arbitrage politique demeure toujours nécessaire comme rempart contre les communautarismes. Dès
lors, il convient de réfléchir à une société dans laquelle les institutions se combinent de façon plus complémentaire avec les réseaux sociaux, sans chercher à opposer les deux modèles de
concertation.
FIGAROVOX/ENTRETIEN - Christophe Assens voit dans le mouvement des Gilets jaunes un besoin plus profond d'existence et de reconnaissance face auquel nos dirigeants sont impuissants et qui ne peut
être satisfait que par une remise en cause profonde de nos institutions démocratiques.
Christophe Assens est docteur en sciences de gestion et professeur à l'Université de Versailles saint-Quentin en Yvelines. Il a publié Réseaux sociaux, tous ego? Libre ou otage du
regard des autres (De
Boeck, 2016).
Vos travaux portent sur la crise de confiance qui traverse notre époque, liée à la considération que portent les citoyens pour les
institutions : comment analysez-vous, à ce titre, la crise des Gilets Jaunes ?
Christophe ASSENS.- Une partie des citoyens se sent exclue ou déconsidérée dans la société en raison du déclassement professionnel, de l'éloignement des métropoles, d'un accident
de la vie ou de toute autre circonstance. Ce sont les «invisibles de la République»: toutes ces personnes ordinaires dont les institutions ne parviennent plus à satisfaire le besoin de
reconnaissance sociale. Ils ont le sentiment que les élites politiques, médiatiques, économiques, les ont abandonnés et ne sont plus en mesure de décider à leur place, car ils ne partagent
pas les mêmes préoccupations du quotidien! De ce constat, découle une crise de confiance sans précédent pour la démocratie représentative. Les citoyens se réfugient alors dans les réseaux
sociaux, pour bricoler une démocratie directe à leur image, plutôt que de participer aux élections. Résultat, notre démocratie représentative est malade avec 1/3 des électeurs
abstentionnistes et 1/3 des votes orientés pour les partis anti- système. La crise des Gilets jaunes apparaît ainsi comme une manifestation épidermique d'un malaise plus profond dans notre
société, où le bien-être matériel ne peut pas constituer la seule réponse au besoin d'exister.
La crise des Gilets jaunes apparaît ainsi comme une manifestation épidermique d'un malaise plus profond dans notre société, où le bien-être matériel ne peut pas constituer la seule
réponse au besoin d'exister.
Si les Gilets jaunes sont en quête d'un besoin de reconnaissance, a contrario, que fuient-ils?
Le besoin d'exister est difficile à assouvir dans notre société formatée et de plus en plus déshumanisée.
En effet, la modernité est incarnée aujourd'hui par la formalisation de règles de plus en plus complexes, pour standardiser les comportements et pour formater la conscience collective,
conférant davantage de pouvoir au décideur technocratique, au risque d'infantiliser le reste de la population. On a l'impression que l'on ne peut plus revenir en arrière, et que les leçons de
l'histoire ne pourront jamais plus éclairer l'avenir. Ainsi, pour corriger les effets pervers d'une règle bureaucratique, il faut absolument superposer d'autres règles, au risque de rendre le
mille-feuille administratif indigeste pour le commun des mortels, et de rendre la société ingouvernable par la même occasion. C'est ce qui se produit lorsqu'on appuie en même temps sur
l'accélérateur des réformes, et sur le frein de la dérogation aux textes de loi supportant les réformes. La société s'enlise alors dans des débats sans fin sur la manière de mieux
réglementer, lorsqu'il faudrait au contraire simplifier et supprimer des règles pour libérer les énergies. Par voie de conséquence, ce modèle de société est aliénant pour les citoyens, en
créant toujours davantage de distance entre ceux qui savent et ceux qui font, entre ceux qui imposent les règles, et ceux qui les subissent.
Paradoxalement, les réseaux sociaux entretiennent d'autres clivages, au lieu de dresser des ponts. Ils enferment ceux qui se ressemblent dans un déni de la réalité vis-à-vis du reste de la
population, comme un préambule au syndrome communautariste, lorsqu'une minorité veut imposer à la majorité sa façon de vivre. Les réseaux sociaux aident en effet à rompre l'isolement et à
trouver de nouveaux espaces de liberté, à condition de cultiver l'autocensure sous la pression du groupe. Le mouvement Gilet jaune fournit une illustration de ces difficultés à fédérer au
delà du rond point, au-delà de la page Facebook, et à accepter sans violence la contradiction dans le débat d'idées, y compris au sein du mouvement.
Pensez-vous que le «Grand débat» permettra d'améliorer la situation? Une solution venue d' «en haut» peut-elle fonctionner?
Le «Grand débat» est une réponse du gouvernement au défi des réseaux sociaux. Cette réponse est d'ordre purement institutionnel. Il s'agit en quelque sorte de faire rentrer le «dentifrice de
la contestation» dans le «tube de la Constitution»! Cela s'apparente à une injonction contradictoire comme l'évoquait Gregory Bateson, en cherchant à dominer par la volonté ce qui est de
l'ordre du phénomène spontané!
Avec le Grand débat, il s'agit en quelque sorte de faire rentrer le « dentifrice de la contestation » dans le « tube de la Constitution »
En effet, l'émergence du mouvement des Gilets Jaunes est fondée sur le rejet des élites, des médias, des élus, des corps intermédiaires, des leaders, des syndicats... Autrement dit, pour
améliorer la situation, il ne s'agit pas de remettre la verticalité au centre du débat, mais d'imaginer d'autres mécanismes de concertation en reprenant les codes de l'autogestion: la
polyvalence des rôles, l'égalité du pouvoir, la transparence de l'information, la cooptation des tiers de confiance pour l'animation, la recherche d'un consensus de proximité dans des petits
groupes, etc. A défaut, le «Grand débat» ne modifie pas ce sentiment de décision venue «d'en haut», avec le recueil des doléances à tous les étages de la pyramide républicaine. Le risque est
de capter surtout l'attention des électeurs favorables aux partis de gouvernement, mais d'oublier chemin faisant une grande partie des électeurs antisystème ou abstentionniste, alors que
c'était le but recherché.
Par ailleurs, le «Grand débat» ne peut pas constituer un évènement ponctuel pour répondre aux feux de l'actualité. Il faut inventer un dialogue plus constructif entre la démocratie
représentative et la démocratie directe à laquelle aspire une partie des citoyens habitués aux échanges sans filtre dans les réseaux sociaux. Dès lors, il n'est plus possible de faire
abstraction des médias sociaux sur Internet comme Twitter ou Facebook, pour écouter et faire évoluer les attentes citoyennes, ou pour relayer ces attentes dans les campagnes électorales. Les
médias sociaux représentent aujourd'hui un baromètre en temps réel de l'opinion publique. En période de grand désarroi sur les questions fiscales, économiques, identitaires, ces médias
sociaux sont capables de fédérer les mécontentements, dans ce nouveau temple de «l'utopie égalitaire» qu'est devenue l'Agora numérique! Tous les points de vue se valent, de l'expert au
néophyte, au point de noyer la vérité dans un océan de contre-vérités.
Quelle incidence pour nos dirigeants politiques?
Les dirigeants politiques ont pris conscience de ce danger depuis quelques années. C'est la raison pour laquelle ils communiquent fréquemment sur les réseaux sociaux, via Twitter par exemple,
pour entretenir un lien direct avec les électeurs, pour faire émerger des idées de campagne, pour tester des projets de réforme, pour lever des fonds, pour répondre aux interrogations de
l'opinion publique, etc.
Le débat public et institutionnel doit rentrer dans la poche de chaque électeur.
Dans ces conditions, la popularité politique se gagne et se perd dans l'arène médiatique, et plus précisément dans la dictature de l'instant imposée par le rythme des médias sociaux! Dans cet
exercice délicat, il faut éviter néanmoins de désacraliser le pouvoir institutionnel, sous peine de livrer en pâture notre pays au jeu d'influence des grandes puissances comme la Chine ou la
Russie, lors des campagnes de piratage informatique orchestrées à grande échelle. Mais a contrario, il ne faut pas non plus ignorer la portée des réseaux sociaux pour innover, collaborer et
débattre après avoir fait circuler les idées.
Il semble donc nécessaire que la verticalité des institutions se combine de façon plus harmonieuse avec l'horizontalité des mouvements d'opinion. Plus précisément, le débat public et
institutionnel doit rentrer dans la poche de chaque électeur, sur le petit écran des téléphones portables, pour retenir l'attention des nouvelles générations. La démocratie 2.0 est à
inventer. À l'image d'une économie collaborative fédérée par des plateformes, les institutions de la République doivent devenir en quelque sorte les nouveaux «gardiens de la confiance» pour
organiser la concertation et la coproduction d'idées entre des millions d'électeurs anonymes.
N'y a-t-il donc pas un besoin d'émancipation à l'œuvre derrière la révolte des Gilets jaunes?
Il existe presque autant de manières d'interpréter le mouvement des Gilets Jaunes qu'il y a de tentatives de récupération politique... Cela témoigne de l'absence de revendications claires
parmi les Gilets Jaunes, car même si les réseaux sociaux sont capables de fédérer la coordination lors des rassemblements, ils sont inefficaces pour produire du consensus à grande échelle. Le
lien social se crée à proximité des ronds points mais pas derrière un écran. Il ne s'agit donc pas d'une révolte populaire à l'image de mai 1968, mais d'un mouvement contestataire sans
porte-parole, dont la dérive insurrectionnelle est à combattre.
Il faut changer de modèle de société et sortir de la déresponsabilisation des citoyens qui confine à l'assistanat.
Sur le plan des idées, ne nous trompons pas de débat. Le besoin d'émancipation est réel pour une grande partie de la population, bien au-delà des Gilets jaunes. Pour l'atteindre, il ne s'agit
pas de stigmatiser telle catégorie sociale contre une autre, ou d'ériger de nouvelles barrières réglementaires pour normaliser le quotidien. Il faut changer de modèle de société et sortir de
la déresponsabilisation des citoyens qui confine à l'assistanat, où il est préférable de cultiver des rentes de situation plutôt que d'assumer le risque d'entreprendre! Dans cette mesure, il
convient d'abandonner les postures idéologiques sur l'égalitarisme qui prive les citoyens de leur liberté, seule en mesure de bâtir une société plus fraternelle. Le rôle de l'État providence
qui corrige sans cesse les inégalités du marché par la redistribution est dépassé, à partir du moment où les richesses sont davantage créées et partagées dans des réseaux. Le contrat de
confiance doit dorénavant l'emporter sur la «prison de verre» bureaucratique, pour faire entrer la France dans le XXIe siècle!
grand entretien du figaro
«Stories» Instagram,«likes» Facebook : Internet est le nouveau miroir des vanités
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Dans Réseaux
sociaux, tous ego ?Christophe Assens développe une analyse des réseaux sociaux au prisme des besoins humains. Il pense que notre usage quotidien de ces plateformes engendre des
bouleversements anthropologiques insoupçonnés.
Chrisophe Assens est docteur en science de gestion et professeur à l'Université de Versailles. Il a publié Réseaux sociaux, tous ego? Libre ou otage du regard des
autres (De
Boeck, 2016).
FIGAROVOX.- L'usage des réseaux sociaux est devenu une norme sociale aussi profondément établie que presque personne ne semble en mesure de la remettre en cause. D'où vient cet attrait pour
les réseaux sociaux et les «likes»?
Christophe ASSENS.- Internet est le nouveau miroir des vanités. Par les réseaux sociaux joue ce vecteur de reflet dans le regard des autres d'une image idéalisée de soi: il s'agit de
diffuser une image extrêmement favorable de soi et d'avoir un retour dessus. De tout temps il y eut un besoin d'exister pour les individus, c'est ce même besoin d'exister qui permet de comprendre
les comportements humains. Mais avant l'arrivée d'internet et des réseaux sociaux, ce besoin trouvait à s'incarner dans des cadres institutionnels formels et rigides avec le principe d'ascension
sociale. On progressait dans les institutions en changeant de statut, et on valorisait de cette manière son regard social et l'image que les autres se faisaient de nous. Ce qui change avec
internet tient à la dématérialisation et à la désintermédiation: nous n'avons plus besoin des institutions pour répondre à notre besoin d'exister. Tout le monde peut valoriser son identité à
travers ce qu'il est usage d'appeler «personnal
branding» (marketing personnel): chacun revendique le droit à valoriser don identité comme une marque personnelle. Il s'agit aussi d'«empowerment»: être partie prenante et acteur avant une
institution qui décide à la place des autres.
Ces deux aspects définissent aujourd'hui les nouvelles normes sociales: valoriser l'ego d'un côté, la capacité d'agir et de participer aux décisions de l'autre. Le problème tient au fait que
lorsqu'on veut valoriser l'identité et l'«empowerment»,
on se tourne vers internet et le virtuel qui pourtant relèvent de la communication et des réseaux: la quête de soi devient artificielle. Le capital social engrangé par des followers n'est pas
constitué des amis proches. Paradoxalement, plus on a de followers, plus on peut se sentir isolé ; on confond la communication et la socialisation. Or la technologie n'a pas fait évoluer la
socialisation: si on veut être socialisé, il faut recourir à des relations réelles et cultiver l'affectif, ce qui ne peut se faire à distance et par les smartphones. L'affection des autres se
construit et n'est pas virtuelle ou artificielle, c'est là où le bât blesse. Tout le monde se réfugie sur internet pour trouver des réponses à son besoin d'exister, alors que ce besoin d'exister
ne peut trouver de réponses qu'en dehors de la société virtuelle.
Nous perdons le sentiment d'appartenance à un collectif tout en cultivant la quête de soi dans un miroir aux vanités : les réseaux sociaux.
Il semble donc que les réseaux sociaux constituent un palliatif incapable de remplacer les relations sociales réelles: ne cherche-t-on pas à aussi à lutter contre la solitude inhérente à nos
sociétés individualistes?
C'est exact, et c'est même très humain! Moins les gens ont de relations humaines et moins ils sont valorisés par leur travail, plus ils se sentent seuls ou délaissés et vont aller chercher des
réponses à leur quête de soi sur internet. J'explique cela par la pyramide de Maslow, sociologue qui, après-guerre, définissait la hiérarchisation des besoins chez l'individu. Celle-ci répondait
selon lui à des besoins primaires (se nourrir, se loger…) et à des besoins secondaires liés à la socialisation: on consomme des produits et services pour être identifiés à un groupe social.
Ensuite viennent les besoins tertiaires: ceux qui relèvent de la quête de soi et de la psychologie. Je pense qu'avec l'arrivée d'internet et des réseaux sociaux, on assiste à une inversion de la
pyramide de Maslow: désormais ce sont les besoins tertiaires et psychologiques qui prônent sur la socialisation. C'est pourquoi, aujourd'hui, le besoin de l'usage l'emporte sur celui de la
propriété. Ce qui est particulièrement éclairant quant à ce qui est à l'œuvre dans le registre économique: les entreprises sont confrontées à de nouveaux comportements consuméristes où les
individus veulent être reconnus comme des consommateurs spécifiques dont il faut envisager le moi.
On a sur internet une superposition d'ego qui ne conduit pas à un cadre collectif tel qu'on peut l'imaginer dans la société, avec des institutions classiques comme la famille, la religion, l'État
ou l'entreprise. Lesquelles permettaient d'avoir davantage de considération et de conscience collective. Nous perdons le sentiment d'appartenance à un collectif tout en cultivant la quête de soi
dans un miroir aux vanités: les réseaux sociaux.
D'où la volonté de faire des réseaux sociaux sa propre vitrine de soi, notamment via des plateformes comme Instagram, relevant davantage de la photo et de l'image que les autres, ce qui semble en
faire le réseau social par excellence…
Absolument, y compris le phénomène des «story», qui concurrence ce qui se fait sur Snapchat. Je crois qu'on a là affaire à un lieu où la mise en scène de l'ego est à l'œuvre. Un adage classique
dit que «si c'est gratuit, c'est que c'est moi le produit»: ces «story» sont en effet très importantes pour les plateformes et leur business model. Pour les individus, elles agissent de la même
façon qu'une promotion en tête de rayon d'un supermarché: on crée son propre produit d'appel pour donner envie aux utilisateurs d'aller voir les autres facettes de notre rayon. En d'autres
termes: pour donner envie d'aller découvrir sur notre compte Instagram d'autres facettes de notre personnalité. On essaye alors de renouveler l'attrait de son profil avec une vitrine, une humeur
du moment, en mettant en haut de la page d'accueil des autres utilisateurs quelque chose de très éphémère, avec une forme de surenchère de la désirabilité sociale. Ce qui permet aux autres de
nous désirer et de s'identifier à nous. Et parfois même en se démarquant par l'humour.
Quand on bascule la logique de l'image, il y a un grand risque de dépersonnalisation : la forme l'emportant progressivement sur le fond, les identités auront tendance à être lissées et
uniformisées.
Comme vous le dites, dans ces codes de communication où l'on cherche à mettre en scène l'ego, c'est la culture de l'image qui l'emporte sur la culture de l'écrit. Quand on bascule dans cette
logique, il y a un grand risque de dépersonnalisation: la forme l'emportant progressivement sur le fond, les identités auront tendance à être lissées, aseptisées, uniformisées. Ce qui laisse
encourir un grand risque de perte de sens… La richesse d'une personne tient à ses défauts, à sa complexité, à ses imperfections, même à ses contradictions: c'est ce qui rend la personne belle et
unique. Toutes ces facettes ne peuvent être abordées par l'image. Ainsi la limite de cette surenchère à l'image réside dans la perte de sens quant à la véritable personnalité de la personne qui
publie sur Instagram.
Est-ce une question de générations?
Les plateformes ont su exploiter les différentes caractéristiques des générations: les premières étaient portées sur l'écrit et les messages, puis on est passé à l'image, la photo, et maintenant
à l'image animée et aux vidéos. Une certaine accélération de la forme de communication correspond aux transformations des mœurs et habitudes de génération en génération. Plus celles-ci
rajeunissent, plus elles vont vers un format de publication éphémère et animé. Et c'est une question de survie pour les plateformes de s'y parfaire, pour parfaire aux désirs de leurs
actionnaires.
Mais pour les utilisateurs, plus la forme s'accélère et prend le pas sur le fond, plus on a tendance à faire grandir la frustration continuellement en entrant dans des codes de communication
formatés où il est en réalité impossible de parler de soi réellement et avec authenticité, où on est inhibés par des codes qui ne permettent pas de répondre au véritable besoin d'exister inhérent
à notre condition.
Sans doute que demain les plateformes feront de la surenchère en s'éloignant davantage de l'écrit, avec une communication rapide et éphémère, toujours avec l'idée que les individus ont besoin de
cultiver l'estime de soi. Mais plus l'information est courte, plus elle est superficielle. Donc la personnalité de chacun a tendance à se noyer dans la masse des publications postées sur les
réseaux sociaux. Cette surenchère est très utile pour les entreprises qui mettent en scène leurs produits sur les réseaux sociaux comme Instagram pour cibler notamment les Millennials et
entrer dans la poche du consommateur.
Avec les réseaux sociaux le libéralisme devient la norme. Chacun revendique le droit à être son propre entrepreneur, ce qui est nouveau dans une notre société de tradition centraliste et
étatique.
Avant nous consommions de manière verticale, en B2C (Business
to consumer) avec agences de publicités et intermédiaires, aujourd'hui nous assistons à une horizontalisation du marketing par les consommateurs, en C2C (Consumer
to consumer): les entreprises l'ont bien compris. Quitte à ce que cela s'opère au détriment des rapports humains réels et de la socialisation.
D'où, aussi, un bouleversement à long terme des rapports sociaux voire anthropologiques à cause de la conduite stéréotypée que les réseaux sociaux induise…
Certes, mais il convient aussi de retenir des points positifs à ce conformisme des rapports sociaux. Cela peut amener les individus des jeunes générations à l'idée qu'il faut se prendre en main
selon le versant positif d'une logique entrepreneuriale relative à l'esprit de l'époque. Laquelle est d'une certaine manière liée au phénomène d'internet. On peut s'attendre à ce titre à moins de
dépendance des institutions et des phénomènes de rentes de la part de certains individus désirant y adhérer sans efforts. D'autre part, lorsqu'on est seul, on a plus tendance à collaborer, ce
qui, de manière horizontale, peut amener à plus de partage de connaissance pour porter des projets.
Le revers de la médaille tient au risque d'avoir une société fragmentée avec des formes de communautarisme dans lesquelles il sera plus difficile d'identifier l'ascenseur social, son efficacité,
son relais, et ses codes. Le capital social va être amené à avoir plus d'importance que le capital financier ou le patrimoine, de nouvelles fractures sociales vont apparaître avec ce
fonctionnement dans lequel le réseau va devenir omnipotent: les réseaux influents et ayant accès à l'information domineront les autres.
On a l'impression que la logique de la mise en réseaux et l'étalage de soi sur les réseaux sociaux sont caractéristiques de l'éthique libérale appliquée aux individus, par le bas. Est-ce à dire
que chacun devient acteur de son propre libéralisme?
Nous avons en effet affaire à une forme de libéralisme incarné aujourd'hui. À travers les réseaux sociaux, le libéralisme devient la norme. Chacun revendique le droit à être son propre
entrepreneur, à mener son propre projet, ce qui est nouveau dans une société comme la France, de tradition centraliste et étatique.
La voiture incarnait la liberté au XXe siècle. Au XXIe siècle c'est le téléphone portable.
Ces métamorphoses sont, selon moi, sources d'inquiétudes: un nouveau dogme de la transparence est en train d'être érigé par l'accession de tous sur une même plateforme où chacun surveille tout le
monde. Or la transparence crée une prison de verre dans laquelle on enferme la pensée, la conscience, les idées. Ce qui donne lieu à une forme de mimétisme de bon aloi, et on retrouve une forme
de politiquement correct qui empêche les acteurs de cultiver des relations de proximité saines.
La voiture incarnait la liberté au XXe siècle. Au XXIe siècle c'est le téléphone portable. Avant la liberté consistait à pouvoir se transporter physiquement d'un point à un autre sur la planète.
Aujourd'hui c'est de pouvoir transporter son image et ses idées d'un endroit à un autre du globe. Dans une forme de désintermédiation, un vent de liberté souffle sur la société, à moins que
celle-ci emporte les autres principes inscrits au fronton de la République, et avec elle la société dans son ensemble.
reportage TV 78
le business de l'education
tribune dans la revue administration & education
Pour répondre aux limites de la massification de l’enseignement public, l’incursion du secteur privé dans l’accompagnement scolaire devient un phénomène de plus en plus répandu. Est-ce que cette
intrusion des entreprises privées préserve les missions du service public, sur l’égalité des chances, la continuité et la mutabilité de l’enseignement ? Cet article expose les enjeux historiques
dans l’évolution de l’enseignement, en mettant en perspective la montée en puissance du secteur privé, renforcé par la transformation digitale comme un « nouveau phare d’Alexandrie », qui attire
les jeunes générations d’élèves comme des papillons de nuit désorientés par la lumière artificielle des écrans d’ordinateur !
LE BASSIN DE HOUDAN, VRAI CHAMPION DU PLEIN-EMPLOI OU MIRAGE STATISTIQUE ?
Interview pour l'Agence France Presse
Aux confins de l'Ile-de-France, la zone d'emploi de Houdan et les 28 communes qui la composent affichent le taux de chômage le plus bas de France: 4,7%. Si certains arguent d'une coopération
fructueuse entre entreprises et pouvoirs publics, la statistique cache une réalité plus complexe.
Sur ce discret territoire niché entre Dreux et Versailles, en bordure de forêt de Rambouillet, s'étend une campagne préservée, à une heure de voiture de Paris.
Ici, pas d'usine ou de zone commerciale tentaculaire défigurant le paysage. Le long de la RN12 se succèdent petites communes proprettes et gros bourgs cossus, prisés pour leur calme par des
personnalités comme Charles Aznavour, Florent Pagny ou encore le milliardaire François Pinault, qui y ont élu domicile.
La zone, à l'origine agricole, semble aussi attirer les PME, notamment du tertiaire.
On n'est certes ici "pas dans la Silicon Valley, qui a une capacité d'attraction mondiale forte, mais on a tous les ingrédients d'un écosystème performant pour préserver l'emploi local",
estime Christophe Assens, professeur à l'Institut supérieur de management de l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.
Patrick Mitchell a été l'un des tout premiers entrepreneurs à s'installer à la périphérie de Houdan (3.000 habitants), sur ce qui n'était alors que des champs. Quinze ans plus tard, son
entreprise de distribution de vis et fixations de haute précision compte plus d'une vingtaine de voisins.
"On a un maire (le député LR Jean-Marie Têtard) et une communauté de communes" qui facilitent l'installation des entreprises "avec des logements sociaux, des prix attractifs, ce qui fait
qu'aujourd'hui la zone d'activités et la zone industrielle sont pratiquement remplies à ras bord", témoigne M. Mitchell.
- Tissu de PME -
La politique fiscale est aussi incitative. "Les entreprises qui sont venues s'installer ici ont quitté des zones où les taux (d'imposition) étaient voisins de 24, 25, 26% alors que nous, on
est à 17%", abonde Jean-Jacques Mansat, président de la Communauté de communes du pays houdanais (CCPH).
Si l'opticien Krys est le plus gros pourvoyeur d'emplois sur la zone, avec plus de 500 salariés sur son site de Bazainville, le tissu économique local est surtout constitué de PME, aux
activités souvent complémentaires, et de petits commerces - le nombre de grandes surfaces ayant été volontairement limité par les pouvoirs publics.
Un écosystème local qui séduit, visiblement. "Ce tissu d'entreprises, il est majeur. Sans (cela), c'est compliqué de se développer, de faire confiance. Les gens, on les connaît, ils sont
juste à côté, on va manger le midi ensemble...", explique Vincent Chouzenoux, qui chapeaute plusieurs bureaux d'études installés sur le territoire de la CCPH.
"Au lieu d'aller chercher des solutions ou des réponses en dehors du territoire", les employeurs, souvent fédérés en réseaux associatifs, vont "les chercher à l'intérieur", explique
Christophe Assens. Cela est valable pour la recherche de main d'oeuvre comme pour les fournisseurs.
- "Ça ne leur saute pas aux yeux" -
Les performances de cette zone d'emploi sont cependant à relativiser, estime Eric Tondu, maire de Maulette, commune limitrophe de Houdan. "Peut-être que le taux de chômage est faible, mais
beaucoup de gens vont travailler à l'extérieur", à Versailles, Saint-Quentin-en-Yvelines ou Paris, tempère-t-il.
Mais ces résidents - plutôt CSP+ - "génèrent quand même de l'emploi localement: éducation, santé, commerces de proximité...", nuance Olivier Léon, chef du service Etudes de l'Insee.
Dans cette région exempte de grands ensembles urbains et de cités sensibles, une certaine forme de pauvreté subsiste toutefois, bien que peu visible. L'antenne des Restos du coeur de Houdan
aide quelque "150 familles" -souvent rurales et/ou mono-parentales- chaque semaine.
Et à Houdan même, "200 habitants sont au chômage", fait remarquer Philippe Seray, élu municipal d'opposition. "Eux, quand on leur dit qu'il y a le plein emploi, ça ne leur saute pas aux
yeux!" Céline Agniel (AFP)
Liste des journaux, radios et tv qui ont repris la dépêche AFP de Céline Agniel sur leur site web.
Dan Price, PGD de Gravity Payments, start-up américaine basée à Seattle attire l'attention des médias du monde entier. Il adopte une mesure inédite en matière de rémunération. Il décide d'aligner
la rémunération de tous les employés à hauteur de 70000 dollars par an, chiffre à partir duquel il évalue sa propre rémunération...
Tendre la main à son concurrent pour survivre, est devenu un enjeu majeur dans le monde complexe d'aujourd'hui. Lorsque les concurrents ne sont plus en mesure de s’adapter de façon isolée aux
variations de conjoncture, de technologie ou de réglementation, il est alors nécessaire de pratiquer la "coopétition", la coopération dans la compétition...
CHRISTOPHE ASSENS : LA RENCONTRE IMPOSSIBLE DU FINANCIER ET DE L’ARTISTE
Jeudi 19 Juin 2014
Avec la saison d'été, les festivals artistiques font leurs grands retour partout en France (Festival de théâtre d’Avignon, les Vieilles Charrues, Jazz à Antibes, etc.). Chaque
année, la tenue de ces évènements est le résultat d'une collaboration entre des parties prenantes nombreuses et variées. On y trouve les artistes, bien sûr, mais aussi les
intermittents, les bénévoles associatifs, et, entre autres, les parties-prenantes financières. Cet enchevêtrement de compétences n’est pas sans interroger la nature de la relation
fonctionnelle qui unit le financier à l’artiste. C’est ce que nous explique Christophe Assens, directeur adjoint du laboratoire de recherche Larequoi (UVSQ) dans cette interview.
Au coeur d’un festival, le rôle des financeurs (publics et/ou privés) semble prédominant. Est-il pertinent de construire un réseau de partenaires autour des attentes
prioritaires des financeurs, pour assurer le succès de l’évènement artistique et culturel ?
Christophe ASSENS, Directeur adjoint du laboratoire de recherche LAREQUOI (UVSQ)
La construction d’un réseau de partenaires est destinée à faire entrer dans le périmètre de l’entreprise en charge de l’organisation d’un événement artistique et culturel,
les facteurs de l’environnement qui présentent un risque d’incertitude pour cette activité : ce que Jeffrey Pfeffer et Gerald Salancik qualifient
« d’environnement négocié ». Dans le cadre d’un événement artistique à l’image d’un festival de musique par exemple, il y a trois types de parties prenantes qui
peuvent jouer un rôle dans la structuration de l’offre : les bailleurs de fonds (publics et/ou privés) les intermédiaires (prescripteurs culturels et touristiques) et
les artistes et autres intermittents du spectacle (producteur de l’offre).
Avec la révolution digitale sur Internet, ces trois rôles peuvent d’ailleurs être dédiées au consommateur final en position de bailleur (crowdfunding),
d’intermédiaire-prescripteur sur les blogs et les forums de discussion, voire de co-producteur de contenu artistique (crowdsourcing) Le rôle du coordinateur d’un
festival de musique consiste alors à mettre en relation les différentes parties prenantes, pour créer de la valeur ajoutée pour le client final. On parlera de réseau, si
les parties prenantes sont considérées comme des partenaires à égalité, sans primauté de l’un par rapport aux autres, tous unis par une relation de confiance nouée autour
du coordinateur.
Pour bâtir un réseau, comment se déroule la sélection des partenaires considérées comme les différentes parties prenantes du projet d’événement culturel et artistique ?
Affiches du festival Off d'Avignon / Matthieu Riegler - Wikipedia Commons
S’il s’agit de construire un réseau de partenaires, l’adhésion doit être libre et ne doit pas relever systématiquement d’une négociation marchande. Autrement-dit les
différentes parties prenantes doivent souhaiter librement adhérer au projet proposé en raison des externalités positives que l’événement culturel et artistique représente
à l’image d’un festival de musique par exemple : externalité directe (la croissance du nombre de participants au festival accroît la valeur du bien culturel proposé
et donc la satisfaction du consommateur final) externalité indirecte (la croissance de la demande pour un bien culturel (offre artistique)- dépend de la croissance de
l’offre liée pour un bien complémentaire du premier (offre liée à la création artistique et à l’événement culturel) pour laquelle la notion de réseau rejoint la notion
d’écosystème en raison de la création de valeur conjointe.
Par exemple le festival de musique des « vieilles charrues » accroît la notoriété du tourisme dans le Finistère en Bretagne / en retour la qualité de l’offre
touristique, des infrastructures de transport et d’hébergement dans le Finistère accroît la notoriété de ce festival... Dans ces conditions, il est donc important de
savoir gérer les externalités : d’une part les interfaces entre les consommateurs finals du festival de musique pour développer les externalités directes sur la
notoriété de l’évênement, et d’autre part les interfaces entre les parties prenantes au festival de musique pour développer les externalités indirectes, autrement-dit les
richesses par ramification d’activités.
Comment le coordinateur du projet de festival procède-il pour obtenir la coopération des différentes parties prenantes ? Doit-il occuper un rôle particulier pour gagner leur
confiance ?
Il existe plusieurs manières de susciter la confiance des parties prenantes : soit par le recours à un tiers de confiance qui se porte garant de la pertinence du
projet de festival au sein de la communauté des intermittents du spectacle, soit par un principe d’identité partagé avec les partenaires, soit par la construction d’un
effet d’expérience dans la durée pour tester la relation de confiance. Au cours de ce processus de construction de la confiance, le coordinateur doit être aussi neutre que
possible dans ses décisions, de manière à concilier en toute légitimité les attentes contradictoires des parties prenantes.
Une fois que les différentes parties prenantes coopèrent au projet, quels sont les indicateurs qui peuvent justifier de leur légitimité dans le projet ?
L’un des facteurs clefs de succès dans la gestion de projet dans un réseau repose sur la mutualisation du capital social. On adhère en effet à un réseau pour partager le
capital social avec autrui. La véritable richesse dans un réseau est donc immatérielle, et repose essentiellement sur le partage du carnet d’adresse, pour dépasser les
aléas de la conduite de projet grâce aux compétences relationnelles : jeu d’intermédiation entre fournisseur et client, mise en relation d’acteurs tiers, veille
collective d’information, démarche sous forme d’intelligence collaborative pour partager les tâches. De ce point de vue, la légitimité d’un partenaire dans le réseau est
définie le plus souvent par les autres partenaires selon des critères de fiabilité, de loyauté et de réciprocité dans les échanges, sur le principe de l’économie du don
énoncée par Marcel Mauss.
Quelle(s) différence(s) faites-vous entre une partie prenante et un réseau ? Faut-il harmoniser les différences pour manager un réseau ?
Une partie prenante est un groupe d’acteurs ou une institution ayant un intérêt lié directement (partie prenante primaire) ou indirectement (partie prenante secondaire)
avec le festival. Un partenaire membre du réseau est un groupe d’acteurs ou une institution ayant noué une relation de confiance avec le coordinateur (ego-network). Une
partie prenante peut donc devenir partenaire, membre d’un réseau, selon le principe « d’environnement négocié » par le coordinateur.
Dans un réseau, les différences sociales ou professionnelles ne peuvent pas être estompées car ce n’est pas souhaitable pour conserver la complémentarité dans la
spécialisation de chaque partenaire (artiste, producteur, scénariste, décorateur, etc…), mais il peut y avoir une harmonisation technique des systèmes d’informations, des
modes de communication, des règles tacites de collaboration, dans le projet de festival. La clef est d’introduire des règles de solidarité dans le projet, avec une
recherche d’équité en terme d’équilibre dans la contribution et la rétribution de chaque partenaire impliqué.
Tendre la main à son concurrent pour survivre, est devenu un enjeu majeur dans le monde complexe d'aujourd'hui. Lorsque les concurrents ne sont plus en mesure de s'adapter de façon isolée aux
variations de conjoncture, de technologie ou de réglementation, il est alors nécessaire de pratiquer la "coopétition", la coopération dans la compétition...
Dans le contexte actuel de crise économique et sociale, mais surtout de crise de confiance, l'innovation apparaît comme cruciale pour toutes les régions du monde y compris dans les grandes
métropoles comme Paris.
Dans ce contexte, la compétitivité de l’économie régionale repose sur la création des écosystèmes, entendus comme des réseaux d'acteurs publics et privés, qui essayent soit de maintenir leur
avantage concurrentiel soit de rattraper le retard accumulé dans cette course effrénée à l'innovation et à la compétitivité des territoires.
Dans la pensée dominante en Management, une entreprise doit s’appuyer sur certains fondamentaux pour fonctionner correctement : des frontières de responsabilités bien établies, un organe de décision qui coordonne et contrôle les tâches de façon hiérarchique, des procédures de résolution des conflits adaptés à l’organigramme...
🔎 Analyse de CHRISTOPHE ASSENS, directeur adjoint du laboratoire Larequoi
ISM-IAE| UVSQ Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
👉 émission spéciale en replay sur le site de TV78 : bit.ly/2KtjX3p